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Wednesday, 24 July 2024

La Ballade d'un fataliste

Hugo Fregonese



Hugo Fregonese : la Ballade d'un fataliste


Hugo Fregonese est l'une des figures les plus insaisissables de l'histoire du cinéma. Ses films, ardents et singuliers, brassent fatalité, mythes et violence crue, dans les canons esthétiques de la série B. Cette version enrichie de la rétrospective présentée à Bologne lors de la dernière édition d’Il Cinema Ritrovato rassemble des films réalisés dans cinq pays différents, dont des joyaux en version restaurée (L’Affaire de Buenos-Aires, Quand les tambours s’arrêteront) ou en copies 35 mm flambant neuves (Mardi ça saignera). Il est temps de faire entrer Fregonese, cinéaste errant et secret, dans la cours des grands.

Entouré de condamnés à mort comme lui, un prisonnier noir fredonne une chanson tout en battant la mesure : Black Tuesday. Les autres détenus, tels des lions en cages, font les cent pas au rythme de la musique. Un travelling passe de cellule en cellule, les barreaux dessinent des ombres dansantes sur les visages fiévreux. « Ferme-là, t’entends ? » s’exclame bientôt un prisonnier glacé par ce chant funèbre. Alors que son cri résonne dans les couloirs déserts de la prison, le titre du film emplit l’écran dans un grondement glaçant de musique symphonique. Ainsi commence Mardi ça saignera (1954), chef-d'œuvre resté invisible des décennies durant. C'est aussi l’instant où Hugo Fregonese, fataliste de génie, entre en scène.



Dans l’adaptation par Fregonese de l’histoire de Jack l'Éventreur, L'Étrange Mr. Slade (1953), le tueur de l’est londonien professe qu’« en vérité, il n'y a pas de criminels, il n'y a que des gens qui font ce qu'ils font parce qu'ils sont ce qu'ils sont. » Et ainsi faisait Fregonese parce que c’est ce qu’il était : un metteur en scène frénétique, toujours en cavale. L’Argentin (1908-1987) changeait de pays aussi facilement que certains passaient de studio en studio. Incarnation du cinéaste vagabond, Fregonese n’aura eu de cesse d’aller et venir, enchaînant les films de fuite ou d’évasion. Un déracinement, une inquiétude que l’on retrouve chez ses héros – individus solitaires, sur la route par choix ou parce que le destin les a condamnés à l’exil.

Né dans une famille d’immigrés Italiens, Fregonese fut l’artisan d’un cinéma de genre vif et implacable, en particulier western et polar. Sa carrière, injustement sous-estimée, pour ne pas dire totalement occultée embrasse quatre décennies et de nombreux pays : de l’Argentine son pays natal à l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni ou encore l’Allemagne de l’Ouest.

Mais son nom est le plus souvent associé à son séjour hollywoodien et aux dix films qu'il y réalisa dans les années 1950 – parmi lesquels Le Raid, évocation brutale en Technicolor de la guerre de Sécession et Mardi ça saignera, « l’Edward G. Robinson le plus impitoyable de tous les temps », tous deux tournés en 1954.

L’artiste, solitaire et taciturne, ne s’épanouira jamais totalement à Hollywood. Il sillonnera ensuite l’Europe où, à l’inverse d’autres cinéastes errants comme Edgar G. Ulmer il se maintiendra à flot, obtenant même plusieurs succès dans les années 1960, dont son western allemand Les Cavaliers rouges (1964), un triomphe dans plusieurs pays européens ainsi qu'en Union Soviétique.

Le Blues du bourreau

Le monde, dans les films de Fregonese, ne tient souvent qu'à un fil — et la vie de ses héros à un nœud coulant. Jouant sur la menace de l’invisible et de la fatalité qui plane, son œuvre est construite comme un crescendo de tension dont le point d’orgue constitue un finale d’une violence physique inouïe, à l’image de la dernière scène de Quand les tambours s’arrêteront (1951), récemment restauré avec le soutien de la Film Foundation de Martin Scorsese. Pourtant, chez Fregonese, la violence est le plus souvent psychologique, hormis dans quelques-uns de ses films, plus lyriques ou spirituels, comme Le Vagabond et les Lutins (1950).

Le vacillement du monde selon Fregonese se joue aussi dans son utilisation toute personnelle des conventions. Il arrive que récit, atmosphère et perspective volent en éclat au cours du film. L’Affaire de Buenos-Aires (1949) passe brusquement du film noir au thriller d’évasion, quand Le souffle sauvage (1953), autre grand film hybride, commencé comme un néo-western, se termine en pseudo-noir. Fregonese entrelace dans son langage cinématographique fragments de vie et situations dramatiques a priori sans rapport les uns avec les autres, avec pour seul ciment une ironie douce-amère et une fascination morbide pour la débâcle et la chute de ses héros. Leur mort aussi : « quelles que soient les larmes que l’on puisse verser, le rendez-vous sera honoré » annonce sans ambage le carton d’ouverture de L’Impasse maudite. Flotte dans l’air un constant sentiment de malheur à venir, comme une ballade aux accents fatalistes.

Dans l’architecture de Fregonese, tout évoque l’enfermement : les angles de vue et l’utilisation des diagonales contribuent à tisser une toile où s’enferrent ses personnages, même lorsqu’ils sont en mouvement. Ainsi dans Les Sept Tonnerres (1957), la ville entière semble se transformer en prison.

C’est dans les espaces clos que le maître de la claustrophobie est dans son élément : décors de prison et de planques sont le théâtre d’un destin implacable. Sa maîtrise des espaces devient alors une métaphore de la mise en scène, où chaque élément est contrôlé par le cinéaste et où la violence se reflète dans le morcellement des espaces – plans cassés, plateaux effroyablement vides où tuyaux, câbles et conduits démesurés sapent tout sentiment de confort et d’appartenance.

Il est temps de réhabiliter Fregonese et d'honorer son génie discret de la série B. Voici un manifeste en six points initialement rédigé pour le festival de Bologne comme une feuille de route utile au spectateur désireux de s’orienter et de naviguer dans les films de Fregonese :


1) Vous devez vous échapper, même si vous n'avez rien à fuir. La fuite est un mode de vie.


2) Passé et mort sont une même chose – on ne peut échapper ni à l’un ni à l’autre, et il existe une étrange intimité entre les deux.


3) L’argent et l’or sont des maladies infectieuses – incurables.


4) "S'enfoncer paisiblement vers l'infini". Ce n’est pas le vers d’un poète, mais un dialogue de Fregonese : c’est ainsi que s’expriment chez lui les tueurs en série, qui philosophent régulièrement sur leur condition.


5) La plupart des choses se produisent deux fois. La seconde fois, votre chance est passée.


6) Nous nous retrouvons souvent dans des espaces vides et clos, où se joue notre destin. Ce moment arrivé, cherchez les fenêtres.


Ehsan Khoshbakht

Monday, 22 August 2022

One Way Street (Hugo Fregonese, 1950)

One Way Street, part of the Hugo Fregonese tribute, plays at MoMA on September 1, 18:30. It's a fine 35mm print, previously screened in Bologna in June 2022. – EK


After leaving Britain in bitter resentment, James Mason appeared in Hugo Fregonese’s Hollywood debut, somewhat appropriately, a film about life on the run. Mason plays Dr Frank Matson, a shady physician who takes off with a bag full of stolen money and the girlfriend of a gang leader, hiding out with her in Mexico. But fate knocks loudly on the door, echoing one of Fregonese’s major preoccupations: the encounter with death. “For no matter the tears that may be wept, the appointment will be kept,” the film’s opening title card bluntly announces.

Wednesday, 27 July 2022

Hugo Fregonese: Man on the Run (MoMA retrospective, September 2022)

Blowing Wild

Perhaps history’s most restless filmmaker, Hugo Fregonese directed his first films in his native Argentina in the 1940s and then embarked on a globe-trotting career that took him to Hollywood, London, Paris, Rome, Munich, and eventually back to South America, all the while exploring themes of claustrophobia, entrapment, and imprisonment. This program, originally organized with Bologna’s Il Cinema Ritrovato festival of archival film, includes a new restoration of Fregonese’s boldly stylized Western Apache Drums (1951) and a new 35mm print of Fregonese’s masterpiece Black Tuesday (1954), a strikingly harsh and violent gangster film featuring Edward G. Robinson in his last thoroughly villainous role and spectacular noir cinematography by Stanley Cortez (Night of the Hunter).

Organized by Dave Kehr, Curator, Department of Film, The Museum of Modern Art, and Ehsan Khoshbakht, Co-Director, Il Cinema Ritrovato.

The series runs from September 1 to 15 in New York City. More info here.

Friday, 22 April 2022

Interview with Hugo Fregonese

Hugo Fregonese

Films Can't Played Off Too Fast; Public Catch Up, Declares Fregonese

By Richard Bernstein

(The Independent Film Journal, November 1952)


"Phoniness in pictures, as in money, has no real value,” explained Director Hugo Fregonese at lunch. Fregonese has just returned from Europe where he directed the Mike Frankovich production, Decameron Nights, which stars Joan Fontaine and Louis Jourdan.

“I feel that an audience can sense a formula picture,” Fregonese said. “An audience likes to be surprised. They don't like to see the same film over and over with a different cast.”

Fregonese pointed out that nowadays a film goes through the theatre circuit too fast. Many pictures are worth a holdover and don't get it. Pictures should be exploited like plays for longer runs. Many times a person finally gets time to see a picture and finds that it has gone. By the time word-of-mouth on a film gets around, a film is sometimes not even playing in the city anymore.

Friday, 25 March 2022

The Drifter's Escape: Hugo Fregonese


THE DRIFTER’S ESCAPE: HUGO FREGONESE

A retrospective at Il Cinema Ritrovato, Bologna (June 25-July 3, 2022)

Curated by Dave Kehr and Ehsan Khoshbakht


As swiftly as some directors changed studios, Hugo Fregonese (1908-87) changed countries. The perfect ‘saddle tramp’ figure, he drifted and made films about drifting and escape. A master of brisk and unsentimental westerns and crime thrillers, with a career spanning over four decades and numerous bases of production – from his home country Argentina, to America, Spain, Italy, the UK and West Germany – Fregonese’s cinema is unjustly underappreciated to the point of obscurity. This is a step in the direction of claiming him as an important figure; one whose cinema of impassioned subjectivity blends the aesthetic of low-budget films with fatalism, myth and raw violence. Fregonese’s name is often associated with the ten films he made during his five-year residency in Hollywood in the 1950s. This programme picks some of the finest from that period to screen alongside films made elsewhere. Forming one of the most coherent cinematic oeuvres that one could expect from a wandering director, this will be one of the major revelations of Il Cinema Ritrovato 2022.